Vous avez probablement entendu parler dernièrement de la ligue du LOL, des dessous des ambiances malsaines qui règnent dans les différentes rédactions parisiennes, les boys clubs et autres rassemblements d’abrutis qui mènent la vie dure à leurs collègues, mais il y a encore d’autres formes de mépris, de pression, d’intimidation, moins « dans ta face » et plus insidieuses.
Approche, séduction, strass et ragots
Il y a un an, un journaliste que nous allons appeler Don Quichotte*, pour le côté tragicomique, m’a contacté pour me proposer de participer à un projet qu’il montait, un projet de création d’un média indépendant autour du foot. A l’époque je faisais encore des piges à droite, à gauche et je me lançais à peine dans le journalisme. J’avais un autre travail à plein temps. Je caressais encore de loin une carrière de journaliste. J’étais évidemment flattée. Ce journaliste avait une petite notoriété et il avait publié des bouquins de qualité. Quand j’ai rejoint le groupe nous étions une petite trentaine, des profils différents, certains très jeunes et d’autres des experts dans leurs domaines : des ingénieurs, des graphistes, un anthropologue, un historien, un étudiant à Havard, une chef de projet marketing … Un beau monde rassemblé pour construire ce projet ambitieux.
La première fois que Don Quichotte m’appelle pour discuter de mon apport au projet, je pense qu’il va me demander ce que je sais faire, donc je lui parle des langues que je maîtrise, de mes études de persan et de l’intérêt que j’ai pour le football iranien. Il semble ravi et commence à parler de lui et de son travail. La conversation dure plusieurs heures, pendant lesquelles il me racontera surtout des anecdotes croustillantes sur des personnalités connues, des ragots sur d’autres journalistes dans le milieu, d’emblée il fait une fixation sur un certain journaliste de RMC. J’écoute fascinée, car pour une débutante ce monde paraissait mystérieux et palpitant. Mais il va jusqu’à me raconter des histoires personnelles, comme lorsqu’il me parle de la vie privée d’une jeune journaliste d’un site d’information en ligne et, supposément une amie proche à lui. Je me sens gênée, comme lorsqu’on assiste à une scène qui est de toute évidence intime et qui ne nous concerne pas. Il me cite également ses nombreux contacts ; j’avais besoin de contacts en Iran ? Il avait le contact de Carlos Queiroz. J’avais besoin d’un contact au Napoli ? Il avait le numéro personnel de De Laurentiis. Le monde s’ouvrait à moi enfin ! J’allais pouvoir enfin travailler des sujets de fond et il allait m’aider. Il m’aida effectivement, en me fournissant le contact d’un journaliste britannique qui à son tour me communiquera de précieux contacts pour travailler sur certains sujets. Son apport se limitera à cela. Je reste tout de même admirative, son côté grand voyageur, parcourant le monde pour dénicher des histoires inédites me fascine. C’est bien après et de son propre aveu que j’apprends qu’il ne s’est jamais rendu dans les pays sur lesquels il écrit, comme lorsqu’il publie la biographie d’un joueur célèbre originaire d’un petit pays d’Amérique latine.
Je me mets à travailler de suite sur mon dossier Iran en prévision de la coupe du monde. Les autres membres du groupe étaient sur d’autres sujets, beaucoup travaillaient sur le Fair-Play financier, un des dossiers phares pour ce nouveau média foot inédit en France. Il y avait cependant un problème de taille : c’était le chaos. Ceux qui me connaissent savent très bien que je ne sais travailler que dans le chaos créatif le plus total, cependant lorsqu’on souhaite lancer un nouveau média, un minimum syndical d’organisation est nécessaire. Les rares réunions de groupe que nous avions étaient dédiées à écouter « le patron », parler de lui, de ses contacts et des ragots qu’on lui rapportait. Il se permettait aussi de prendre des appels pendant les réunions, c’était son heure et nous étions son auditoire.
Un documentaire en Corée du Nord
Lors d’une réunion il nous parle de sa prochaine interview pour Égalité et Réconciliation. Il justifie longuement ses raisons d’accepter cet entretien « Moi je parle à tout le monde, pourquoi pas eux ? ». On ne sait pas trop quoi répondre à part de lui dire qu’il vaudrait mieux ne pas nous mentionner et le projet, pour éviter de nous affilier à ce site. Quelques jours après il m’appelle pour me proposer de l’accompagner en Corée du nord pour le tournage de son documentaire sur le football en collaboration avec Canal + un premier épisode d’une grande série de reportages sur les nations méconnues du football. A cette époque-là je préparais mon déménagement de Paris à Toulouse, j’avais signé un contrat et je devais prendre mon poste une semaine. Je réfléchis un peu , puis je me dis que l’opportunité est trop belle pour être refusée.
La semaine passe comme dans un rêve ou un cauchemar, DQ n’est pas certain de pouvoir partir avec nous et puis les négociations avec Canal + seraient tombées à l’eau. Un désaccord avec Olivier Dacourt qui souhaitait être le présentateur du documentaire « Non mais lui c’est un connard, c’est mon documentaire ! On m’a fait des misères pour le t-shirt que je portais, puis ils ont même refusé mon initiative d’offrir des ballons et des équipements aux petits Coréens de l’école de football que nous allons visiter ». Pas d’inquiétude cela dit, un contact avec Netflix serait établi et la BBC serait sur le coup également.
Deux jours avant le départ il me met en contact avec Nicolas* directeur d’une agence de voyage qui organise les séjours en Corée du Nord pour les touristes français. Nicolas est excessivement mielleux au téléphone, il m’assure qu’il se chargera de tout, des visas et des billets d’avion. DQ nous écrit sur le groupe Whatsapp pour nous dire que cela se confirmait et qu’il n’allait probablement pas pouvoir venir avec nous. On retient son passeport en otage, il est sur écoute, sa mère est sur écoute, l’UNESCO est intervenu ( bah oui, plus c’est gros plus ça passe), CANAL + est probablement derrière le coup, « On a peur de moi, je dérange », sa réplique favorite. Même Edward Snowden à côté de lui, passerait pour un Boyscout. J’ai depuis retrouvé le tweet où il présentait sa vidéo « sur écoute », mais la vidéo elle a été supprimée (Pourquoi ?). Je ne vais pas vous le cacher, j’étais d’une extrême naïveté. J’ai cru à toutes ses histoires et j’y ai cru pendant plus longtemps que je n’ose me l’admettre à moi-même. J’étais une débutante, que pouvais-je savoir des redoutables dessous du journalisme sportif ?
Quoiqu’il en soit, la veille du vol, je me retrouve contrainte à rendre mon appartement dans l’état, vu mon départ précipité, je perds ma caution et puis mon nouvel employeur râle parce que je retarde ma prise de poste. Je renonce à un demi-mois de salaire, mais pour la bonne cause me disais-je. Un documentaire en Corée du nord ce n’était pas la classe absolue ? DQ m’envoie juste un mail vague sur les instructions pour commencer le tournage sans lui. Pas de script, pas de note d’intention, pas de planning, que dalle ! Je précise que ce documentaire était prévu de longue date. Je passe de simple apprentie/ touriste, à devoir gérer la direction du tournage. Il me dit qu’il a appelé une connaissance à lui, Lorenzo*, on travaillera ensemble en binôme.
« Maintenant c’est moi qui décide ! »
J’arrive à Charles de Gaulle le jour du départ un peu perdue, pas certaine de ce qui m’attend. Je n’avais ni billet d’avion, ni visa, c’était de l’improvisation totale. Je vois enfin Nicolas, on se dit bonjour et trente secondes après, il ouvre sa parka pour me montrer fièrement son pin’s à l’effigie des leaders coréens « Tu vois ça, c’est un honneur qui m’a été accordé. Je suis un des rares étrangers à avoir le droit de porter ce pin’s, tu n’imagines même pas la chance que tu as d’être avec moi. » Le reste de l’équipe est composé de : Lorenzo, Paul* le caméraman et Pierre* un ex employé d’un grand club français. Pas de deuxième caméraman, le champ-contrechamp c’est pour les chiens… Après de longues négociations avec l’employé du Desk Air France pour le convaincre qu’il était en effet possible d’aller en Corée du nord, on arrive au contrôle des passeports. Nicolas, dans un geste incompréhensible pense qu’il est intelligent de sortir son téléphone pour prendre une photo du guichet. le policier derrière la vitre se lève furieux « Rangez ça ! Vous vous êtes cru où ? »
Je passe avec Lorenzo sans problème mais Pierre est retenu. On patiente pendant que Nicolas reste avec lui pour comprendre ce qui se passe. Il vient vers nous pour nous informer que Pierre avait présenté un passeport qui était déclaré volé. Apparemment il avait perdu la semaine d’avant son passeport et il l’avait déclaré volé avant de le retrouver juste quelques heures plus tard. Il nous demande de continuer jusqu’au contrôle sécurité où il nous rejoindra plus tard avec Paul. Vingt minutes avant l’embarquement, les portes de sécurité vont fermer quand enfin ils apparaissent sans Pierre, il a été embarqué manu militari par la police, il ne viendra pas.
Dans l’avion, Nicolas parait très nerveux et cache à peine sa colère contre Don Quichotte qui lui avait promis des invités prestigieux pour ce voyage, et qui je le découvre à cet instant, est présenté non pas comme un tournage de documentaire mais une découverte du football coréen avec un journaliste connu. Il lui en veut d’avoir fait « capoter » l’histoire avec Dacourt, de ne pas avoir fait son passeport à temps et d’avoir parlé publiquement je cite « En versant dans des théories du complot qui ont tellement inquiété les Coréens, que je me suis fait engueuler comme jamais de leur ramener un tel agitateur ». Il se lamente également sur les touristes, à qui on avait vendu ce séjour et qui ont pour certains, tout annulé après avoir su que les grandes personnalités qui devaient venir, ne seraient pas du voyage. Je ne comprenais absolument rien, il aurait pu parler coréen que cela aurait été pareil.
Dans l’avion, Nicolas boit, beaucoup, à tel point que l’hôtesse de l’air refuse de le resservir au bout de deux heures. Il commence à devenir un peu trop familier avec moi ; il me prend la main, me caresse les jambes et j’essaye tant bien que mal de le contenir. Je me lève pour aller lui chercher plus d’alcool en espérant que cela l’assommera. Ivre, il se lâche et m’explique que Don Quichotte n’a plus de droits sur le documentaire, que maintenant c’était lui le réalisateur, que nous allions suivre ses ordres et filmer ce qu’il nous demandait. Vous sentez un peu l’embrouille ?
Les onze heures de vol sont un véritable calvaire. Nous arrivons enfin à Pékin. Là Nicolas nous indique que pour prendre notre second vol pour Pyongyang il nous faut demander à l’aéroport un visa de transit, mais que lui il restera là car la dernière fois qu’il a demandé le visa de 24h il était arrivé en retard et que maintenant il n’avait aucune chance de l’obtenir. Il nous demande de récupérer sa valise et de prendre son passeport pour l’enregistrer en même temps que nous. J’ai vu assez de films et lu assez d’histoires sordides pour me méfier de faire passer le bagage d’un inconnu avec les miens. Je m’imaginais déjà dans une petite pièce sombre et des vitres teintées. Les embrouilles je vous dis.
Au comptoir d’enregistrement nos valises sont fouillées et scannées mais lorsqu’on tend la valise de Nicolas avec son passeport, l’agent s’arrête net, il appelle un supérieur et lui montre le passeport. Je me dis à cet instant que c’en est fait de nous. Cependant, ils prennent la valise sans même vérifier son contenu et ils nous laissent passer. Après un long contrôle de sécurité, on arrive enfin au hall d’embarquement où surprise, on retrouve Nicolas déjà là. Il était en compagnie d’un Coréen. »Je vous présente monsieur Kim*, c’est mon beau-frère. » Monsieur Kim était un homme élégant et souriant. Il était courtois et il avait une qualité indéfinissable qui le rendait agréable immédiatement. Le contraste entre ses manières raffinées et celles rustres de son beau-frère français était frappant. Nicolas était agité encore plus qu’avant, il déblatérait, pendant que monsieur Kim souriait poliment; s’il était agacé, il le cachait habilement.
Je vais vous passer tous les détails et le récit du voyage, car c’est la plus belle partie de l’expérience et que cela mérite d’être mis en valeur autrement et à part. Reprenons donc, dès notre arrivée à Pyongyang Nicolas s’avère exécrable. Il est grossier, tyrannique, il s’intronise effectivement réalisateur du documentaire et exige de nous un travail constant pour montrer le pays sous son plus beau jour. Monsieur Kim nous accompagne quasiment partout mais il reste sur la réserve, toujours agréable et soucieux de notre bien être. On comprend que c’est lui qui a organisé les nombreuses visites et les différents divertissements. En tous points nous sommes traités comme des rois, invités dans les meilleurs restaurants, logés dans un hôtel de luxe, mais contraints par Nicolas de filmer ce qu’il voulait. J’ai la curieuse impression d’être la seule à m’en inquiéter et pire j’ai l’impression surtout qu’avec Lorenzo on est les seuls tenus hors du coup. Un comble, sachant que finalement on aura fait avec Lorenzo et le caméraman tout le boulot. Je décide d’en discuter avec monsieur Kim, ce dernier parait sincèrement surpris et m’affirme que nous sommes libres de filmer, d’ailleurs il met un deuxième caméraman à notre disposition, et m’assure que de toute manière le sujet reste le football et pas autre chose. Nicolas agirait de son propre chef donc.
Une arabe, ER et des militants FN dans le même bateau…
Pendant tout le séjour, il boit excessivement et s’excite. Il tourne en boucle sur le fait que Don Quichotte a contrarié ses plans, qu’il a perdu plusieurs touristes, que le voyage est un fiasco et qu’il veut absolument se refaire avec l’argent du documentaire. Les quelques touristes français qui nous accompagnent ne comprennent pas vraiment ce qui se passe. Je dors mal la nuit, inquiète pour le documentaire, après tout on m’avait fait confiance, j’étais là pour travailler, pas pour faire du tourisme. J’attendais donc impatiemment que « le patron » arrive pour remettre les choses au clair. Je me sentais malgré tout reconnaissante d’avoir été incluse dans ce voyage. Même si les choses ne se déroulaient pas comme prévu, je n’osais pas trop me plaindre. D’ailleurs la moindre remarque pouvait faire disjoncter Nicolas.
Autour d’un déjeuner et au détour d’une conversation sur la politique, j’apprends que Nicolas est un militant FN, comme le caméraman aussi et qu’il a été recommandé par ER (égalité et réconciliation) à DQ. Il explique qu’Alain Soral et son collègue Pierre l’ont recommandé à DQ parce qu’il avait de l’expérience dans ce domaine (je ne savais pas à l’époque que DQ et Soral - et même Daniel Riolo - avaient le même éditeur). J’en profite pour discuter un peu avec lui à part et il clarifie la situation : « c’est ER qui me paye et c’est à eux que je dois rendre compte. Je ne sais pas qui a les droits du documentaire, mais ça ne me concerne pas. » Quand je discute avec les autres personnes du groupe, je me rends compte que beaucoup d’entre eux sont des soraliens, des militants FN et, moi j’étais la maghrébine au milieu de tout cela, comme jetée en pâture. Donc j’avais été envoyée au casse-pipe à l’autre bout du monde avec des gens qui à table pouvaient sortir en toute détente, des propos homophobes, antisémites et misogynes. J’ai osé une seule fois faire une remarque sur la xénophobie que le FN véhiculait et, Nicolas est rentré dans une colère noire qui m’a découragée de continuer. Paul, le caméraman était lui bien sympathique et sur la réserve. Il fût d’ailleurs une des rencontres les plus intéressantes de ce voyage, malgré des idées et des principes diamétralement opposés aux miens, c’était quelqu’un d’ouvert d’esprit.
DQ arrive enfin à Pyongyang quelques jours plus tard, soulagée je le prends à part dès son arrivée pour lui expliquer la situation. Je lui répète ce que Nicolas nous a dit, il se contente juste de sourire et de me dire gentiment qu’il maîtrisait la situation. Moi je continue à croire à la théorie suivante : profitant de l’absence de DQ, Nicolas avait mis main basse sur le documentaire pour servir ses propres intérêts. A aucun moment je ne remets en cause DQ et son projet de documentaire indépendant. Malgré le fait que nous étions extrêmement bien traités, nous vivions dans une sorte de flou, tendus et contraints d’obéir à Nicolas qui détenait nos visas et surtout, nous étions coupés du monde (pas d’Internet, des appels coûteux et surveillés). DQ était arrivé vers la toute fin du tournage, nous avions filmé déjà l’essentiel. DQ ne participe à rien, il ne travaille pas et passe son temps au fond du bus avec sa compagne venue avec lui en qualité de journaliste et deuxième caméra (elle ne l’était aucunement). Il ne cache pas sa mauvaise humeur, mais ne me parle pas de solution concrète à la situation. On demande à DQ une seule chose, d’interviewer face caméra le sélectionneur de l’équipe nationale que nous avions vu plusieurs fois avant pour préparer le terrain. C’était notre dernière chance pour l’interview. On demande au sélectionneur de patienter pendant qu’on va chercher DQ, mais il est introuvable. Lorenzo l’appelle dans sa chambre, il répond qu’il sera là. On patiente avec le coach vingt minutes, ce dernier est naturellement agacé. Lorenzo rappelle DQ qui lui dit cette fois que sa compagne est malade, qu’il ne pourra pas descendre. Le coach vexé, part dîner. Nous n’aurons pas l’interview filmée, car la star du documentaire devait être Don Quichotte.
Les Coréens toujours aux petits soins, organisèrent le jour suivant, un barbecue pour nous. Ils étaient très contents, c’était là un honneur qu’ils nous faisaient. Pendant le barbecue DQ se fait remarquer encore en refusant de manger quoique ce soit. Il dit se sentir malade, il affirme que la veille c’était lui qui était malade et non pas son amie, ce qui peut être excusable mais il va plus loin en faisant des grimaces, en repoussant sans tact les plats. Monsieur Kim s’inquiète, puis finit par se fâcher, il prend cela comme un grave manque de respect. Nicolas furieux le soir vient nous dire qu’il nous a été demandé de partir plus tôt que prévu pour Pékin.
Le lendemain Nicolas arrive au petit-déjeuner très pâle, les yeux rougis. Je ne fais pas vraiment attention, jusqu’à ce que quelqu’un m’apprenne qu’après le barbecue on (je ne sais pas qui) lui avait confisqué son pin’s. Ce qui représentait en quelque sorte une sanction et un retrait de ses privilèges. Mais en début de soirée, avant de rentrer à l’hôtel, monsieur Kim dans le bus rend le pin’s à Nicolas. Ce dernier pleure de joie et de soulagement en repositionnant le précieux pin’s sur son pull.
On se rend à l’ambassade de Chine pour faire nos visas le lendemain, nous allions rentrer à Pékin en train. Cependant, on repart sans avoir déposé les demandes de tout le monde, car pour une bonne partie des touristes qui nous accompagnent Nicolas n’a pas encore réservé les vols retour. Le soir à l’hôtel je l’entends dire qu’il fera faire des faux billets sur un logiciel de retouche car il n’avait plus aucun sou pour prendre les billets. Le type était une sorte de Madoff. Je l’entends dire aussi, qu’à cause de toutes les réservations annulées et les vols ratés (il y avait grève en France et quelques personnes n’avaient pas pu se rendre à Paris pour prendre leur vol), il était ruiné. Nous finissons tout de même par obtenir nos visas, tous, même ceux à qui on avait fait des faux billets d’avion.
les 24 heures de train sont cauchemardesques, Nicolas s’enivre, il me fait des avances « Tu es la seule fille célibataire ici, il faudra que tu sois bien gentille avec moi ce soir ». Personne ne pense à le remettre à sa place, à me venir en aide. Angoissée, je ne dors pas de la nuit, craignant qu’il fasse intrusion dans la cabine et me viole, je n’osais même pas me rendre aux toilettes. DQ justifie notre départ précipité de Pyongyang par l’attitude de Nicolas qui selon lui trempe dans des combines douteuses, ce qui n’aurait pas échappé aux Coréens. Ce qui paraissait vraisemblable, mais improuvable.
Escalade de violence à Pékin
On arrive enfin à Pékin, après une nuit blanche. Nicolas paraît plus calme soudainement. Il n’était pas prévu qu’on reste plus d’une journée à Pékin mais à cause de notre changement de planning nous devions maintenant trouver un logement. Il ne restait plus qu’un seul touriste français avec nous. Les autres étaient partis directement à l’aéroport pour prendre leur correspondance : les uns vers Séoul, les autres vers Moscou ou encore Paris. Lorsqu’on descend du métro, soudain Nicolas alarmé nous dit qu’il pense que son portefeuille avec tout son argent a été volé, il ne le retrouve plus. Il ne lui reste pas grand-chose et il me donne quelques yuans qui lui restent. J’avais ma carte de crédit sur moi et j’avais fait un retrait. Je paye donc les chambres et DQ me promet que je serai remboursée à notre retour. Exténués et à bout de nerfs, on espère tous, juste prendre une bonne douche et dormir un peu, mais Nicolas à d’autres plans pour nous.
Il nous accorde une demi-heure pour nous changer et revenir dans le hall pour nous mettre au travail. Il me demande de récupérer mon appareil photo et de faire le tri pour sélectionner les plus belles images que j’avais prises. Il demande aux garçons de rédiger à deux un mail à destination des chaînes télé. Voyez-vous, son projet était « simple », il voulait que nous fassions un email à destination de toutes les grandes chaînes télé où DQ avait supposément des contacts bien placés pour leur dire ce qui suit : « Nous avons tourné un documentaire (nous n’avions que des rushes) mais les Coréens nous ont confisqué les images à condition que nous leur payions 50.000 euros (ce qui était évidemment faux, les Coréens n’ont même pas demandé à voir nos enregistrements et nos photos) ». Nicolas s’était donc mis dans la tête de récupérer 50.000 euros et il les voulait avant notre retour en France, dans moins de 24h.
Après avoir reçu les consignes, j’ai préféré pour ma part rester dans ma chambre pour travailler. A mon retour dans le hall, je sentais qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Nicolas était extrêmement agité, il arpentait le hall rouge de colère. Le mail rédigé par DQ ne lui plaisait pas du tout et il perdait patience. Les menaces et les insultes pleuvaient « Tu te prends pour qui sale petite merde, t’es qui toi ? A cause de toi j’ai perdu mon pin’s, j’ai perdu des milliers d’euros à cause de tes conneries ! » La tension montait dangereusement. Nous tentions avec Lorenzo de le calmer. Nicolas finit par se lever et partir en compagnie du caméraman au bar du coin. Nous étions tous sous le choc, fatigués, la nuit tombait et nous étions dans un motel malfamé, travaillant encore et encore sur une deuxième version de l’email. Quelques heures passent et nous laissons DQ repartir dans sa chambre et, de notre côté nous allons prendre la température au bar où Nicolas est toujours. Il était souriant mais il ne semblait pas plus calme. « Je vais lui casser la gueule à ce p’tit con et il peut toujours rêver s’il pense que je vais payer son avion retour. Je m’en fous je peux aller en prison, mais je vais lui refaire la gueule ».
Inquiets, nous rentrons à l’hôtel pour prévenir DQ qu’il faudrait qu’il réserve son vol retour immédiatement et qu’il parte si possible tout de suite pour l’aéroport. On cherche des vols et on finit par en trouver un qui part tôt le matin en passant par Moscou. On monte la garde devant la chambre de DQ où nous nous étions barricadés. Nicolas revient et commence à taper tel un possédé sur la porte. On sort avec Lorenzo pour négocier calmement avec lui. Je prends le caméraman à part et nous sortons discuter dehors. Il me confie que Nicolas n’a aucune envie de renoncer à se battre et qu’il le comprend un peu. Nicolas blâme DQ encore pour ses pertes et la situation délicate dans laquelle il était maintenant avec les coréens.
Après de longs pourparlers, on convient de se réunir au hall de l’hôtel vers 1h du matin pour discuter. DQ marche entre Lorenzo et moi, il est livide. Nicolas à sa vue, oublie notre accord et se dirige vers lui, menaçant toujours de l’attaquer. Nous reprenons les négociations et Nicolas regagne un peu de calme et se lance dans un très long monologue une fois que nous sommes assis :
« Donne-moi une bonne raison de ne pas te casser la gueule là tout de suite ? Tu m’as ruiné avec tes conneries. Soral c’est mon pote, je vais tout lui raconter et tu feras moins le malin devant lui. Tu sais, j’en ai déjà fait de la prison, oui un jour j’ai déconné, j’ai détourné de l’argent, j’étais trop gourmand, ce n’est pas un petit fils à maman qui va me faire peur. Tu publies une vidéo où tu dis que l’état français t’as mis sur écoute, fils de P***, alors que t’as juste pas été fichu de faire ton passeport à temps ! On m’a pris mon pin’s ! J’ai dû m’excuser auprès de mon beau frère d’avoir ramené un type comme toi ici… » Le monologue dura longtemps, personne n’osait répondre. Je sentais les larmes me monter aux yeux. Je n’avais pas dormi depuis deux jours, je n’avais pas mangé et j’avais surtout peur. Je n’avais qu’une envie, rentrer chez moi. Après de longues négociations, Nicolas laisse DQ rentrer dans sa chambre où il fait immédiatement ses valises, mais pas avant d’avoir envoyé le fameux mail de demande de « rançon » à des fausses adresses email (pour tromper Nicolas). Je lui donnai de ce qui me restait d’argent pour payer un taxi et prendre un repas et le reste à Nicolas pour qu’il retourne au bar. A notre réveil, DQ et sa compagne étaient partis, nous n’étions plus que cinq.
Détournement de fonds, mensonges et dissimulation
Le trajet du retour vers la France était un peu moins pénible, Nicolas était dans de meilleures dispositions, même s’il restait vulgaire en s’adressant à moi. Les jours qui ont suivi notre retour, DQ m’appelait régulièrement pour me tenir au courant de l’avancée du documentaire. Il m’assurait qu’il avait discuté avec Soral et que ce dernier allait faire le nécessaire pour que l’on récupère les images, qu’il était de nouveau en charge et que Nicolas avait été écarté de son agence de voyage qui selon les dires de DQ était maintenant passée sous la main d’ER qui l’aurait rachetée. Il me fit état également des déboires de Nicolas, comme la découverte d’un détournement d’une somme de plus de 70.000 euros de sa propre agence de voyage. Je n’ai évidemment aucune preuve de ses dires.
Quelques semaines après, il m’appela pour me dire que Nicolas était mort, un suicide apparemment. Encore une fois, je n’en ai eu aucune preuve, malgré plusieurs recherches menées de mon côté. Les mois passaient et à chaque fois DQ me donnait une version différente, il évoquait la gentillesse de Soral envers lui, je lui répondai que je ne doutais pas que même des types comme lui pouvaient être civils et charmants, ça ne répondait pas cependant à mes questions. Il me disait également que nous n’allions probablement pas récupérer beaucoup pour le documentaire car ER devait se faire rembourser les frais engagés dans le documentaire (premier aveu sur l’implication d’ER) et surtout combler le déficit laissé par Nicolas à l’agence. Je répétais sans cesse que l’argent ne m’intéressait pas, que je voulais surtout savoir ce qui allait advenir du documentaire.
Plus les mois passaient et plus je désespérais de voir ce documentaire sortir. J’usais de toutes les méthodes de persuasion, allant dans son sens, me montrant compréhensive, feignant de ne pas juger sa nouvelle admiration trouvée pour Alain Soral, cachant ma déception, sans succès. Même mes demandes pour récupérer les rushes de certaines interviews que je voulais retranscrire étaient restées sans réponse. Je n’ai obtenu le Teaser qu’au prix de beaucoup d’insistance et d’un harcèlement continu, pour constater avec amertume qu’il était d’une qualité médiocre. Un documentaire baptisé « Football et socialisme ». DQ commençait petit à petit à enterrer la Corée du Nord, me demandant d’en faire autant, de ne surtout pas sortir des articles sur le sujet avant la vente du documentaire. Il évoquait des négociations avec Netflix ou encore avec la BBC qui traînaient en longueur « Oh tu sais le sujet n’intéresse pas grand monde ». Reposons le contexte : nous étions allés en Corée du nord en mars/avril 2018, l’hôtel où nous étions logés, accueillait également des délégations russes venues pour préparer la fameuse rencontre entre Kim Jong-un et le président Moon, une rencontre historique entre les deux Corées et le sujet n’intéressait personne ?
La vérité est ailleurs
J’ai dû pendant des mois garder le silence, ne rien publier, mes articles sur la Corée (voir la série d’articles ici) sont sortis trop tard, quand le sujet n’était plus d’actualité.
Jusqu’à ce jour, je n’ai eu aucune réponse claire sur ce qu’il s’était réellement passé. J’ai confronté DQ qui n’a pas nié l’implication d’ER, mais qui n’a pas voulu donner plus d’explications. J’ai par la suite coupé tout contact avec lui, renonçant à toute rémunération, remboursement de frais et surtout exigeant que mon nom soit retiré, dans l’éventualité faible que le documentaire soit diffusé. Pendant longtemps j’ai refusé de voir la réalité en face, je ne voulais pas croire que j’avais été sciemment envoyée au casse-pipe. Mon erreur a été de ne pas vérifier les informations, car une simple recherche croisée « Corée du nord/Football » et des liens vers ER remontent. Le site présentait déjà fin janvier le voyage avec la participation de Don Quichotte. Ce dernier rappelez-vous, nous avait dit qu’il allait faire une interview chez eux, mais il n’a jamais cité le lien entre eux et le voyage en Corée. Je n’en veux absolument pas à ER, après tout ils n’ont rien caché, ils ne m’ont pas induite en erreur, Don Quichotte était en charge, c’était lui l’organisateur. Je lui ai d’ailleurs posé la question directement « Est ce que tu as signé quelque chose avec ER avant même qu’on parte ? ». Silence…
Je n’ai à ce jour aucune réponse. Sa version officielle était qu’ER avait racheté l’agence de voyage de Nicolas pendant que nous étions en Corée (nous sommes restés 11 jours) et qu’après ce rachat, ils s’étaient retrouvés propriétaires du documentaire. Quant à Netflix ? Ils avaient finalement refusé la diffusion (aucune preuve là aussi). DQ ne voulait pas de notre implication malgré le fait que nous étions ceux qui avaient fait l’essentiel du travail. J’avais par ailleurs l’occasion à travers mes contacts de faire rentrer le documentaire officiellement au festival du film de Denver, mais j’ai dû renoncer à ce projet faute d’avoir un film à présenter.
Face à la pression, le silence n’est pas une option
Pourquoi en parler maintenant ? Pour plusieurs raisons : comme je disais, je n’ai commencé à comprendre ce qu’il en était que plusieurs mois après le voyage. Deuxièmement j’avais tout simplement peur, parce que des gens comme ce journaliste ont une capacité de nuisance redoutable et ils ne reculent devant aucun moyen de pression ou d’intimidation. Je débutais seulement, j’avais peur de lui, pour ma crédibilité et à juste titre. Pendant la durée de notre collaboration, j’ai vu la quantité de rumeurs qu’il pouvait colporter, comment il pouvait nuire aux réputations et jusqu’à aller à divulguer des informations personnelles, des conversations et des confidences faites en toute confiance.
Une autre raison, est qu’à ce tournant dans ma vie professionnelle, je ne peux pas accepter une quelconque forme de chantage et garder le silence sur ce genre de pratiques. Il y a quelques temps, après de longs mois où j’avais renoncé presque définitivement à publier cette histoire, le groupe de travail qu’il avait rassemblé autour de lui pour publier des dossiers de fond sur le football s’est retrouvé floué lorsqu’il a sorti son émission sans inclure ou prévenir personne. Lorsque ce fait lui a été fait remarqué (des personnes travaillaient sur certains dossiers depuis plus d’un an) sa réponse était pleine de mépris et de condescendance : « Restez avec moi… Je suis la relève de Didier (grand journaliste respecté dans le milieu), tout le monde me dit que je suis son successeur, son équipe me disait qu’il me considérait comme son successeur…on veut me nuire, ceux qui parlent derrière mon dos (syndrome de persécution) sachez que j’ai des yeux et des oreilles partout (intimidation), des gens très importants veulent travailler avec moi (estimez-vous heureux)… ». Cela aurait pu en rester là, j’aurais pu garder encore le silence, après tout je n’avais rien à y gagner et tout à y perdre.
J’ai réécrit cet article cinq fois, jusqu’à en être écœurée et découragée. J’ai pensé même à le romancer, le raconter sous forme de fiction, pour m’épargner des représailles qui viendront certainement. Cet exercice-là va contre ma nature, mais ce qui va également contre ma nature c’est de me taire face à l’imposture et de vivre avec la peur au ventre qu’à chaque fois que je contacte une rédaction pour proposer un article, que la personne en face soit une de ses connaissances. Bien que j’essaye depuis des mois de l’éviter, je suis confrontée régulièrement à lui, pendant qu’il vante sa probité tout en remettant en cause celle des autres journalistes sans aucune preuve. Dernière chose et pas la moindre, je ne fais pas le deuil du travail que j’ai effectué et dont je ne verrai probablement jamais le résultat.
DQ comptait sur mon silence, de par mon inexpérience et mon désir de travailler dans ce milieu, je lui avais été longtemps reconnaissante de l’opportunité. Ce que je ne réalisais pas à l’époque c’était que j’avais fait un travail, dans des conditions difficiles, où je me suis retrouvée physiquement en danger, pour finalement ne jamais en voir le résultat. Sans même parler du financement douteux. Il n’y avait finalement aucune raison de vivre avec cette culpabilité.
J’arrive donc à la fin de cet article un peu à part et éloigné des sujets que j’aime aborder d’ordinaire, ma conclusion est la suivante : je n’ai aucun désir de nuire à quelqu’un, mais je n’ai aucun désir non plus de me nuire à moi-même en me murant dans la peur et le silence. Évidemment il présentera cette démarche encore comme un règlement de compte, une énième attaque gratuite envers lui, mais je possède de mon côté les preuves de tout ce que j’ai avancé dans ce récit et je n’hésiterai pas à les publier en concertation avec mon avocat en cas de pression.
Dernière chose, j’aimerais insister sur le fait que malgré la férocité de la concurrence dans ce milieu, rien ne justifie d’accepter l’intimidation et la pression, rien ne justifie de se sentir coupable lorsqu’on est la victime, rien ne justifie qu’en 2019 on doive encore se cacher et craindre pour sa carrière en disant la vérité.
*Les noms ont été changés